Sunday, 25 March 2012

La bombe Warlikowski : Théâtre et compagnies

La bombe Warlikowski

Isabelle Huppert, toujours aventurière, l'avait choisi pour la diriger en 2010 dans "Un Tramway nommé désir".
Retour à Paris de Krzysztof Warlikowski, le surdoué polonais, star des scènes et festivals internationaux. Il signe "Contes africains d'après Shakespeare"; et d'après l'écrivain sud-africain Coetzee. Une fresque hypnotique, qui se mérite. 

Warlikowski, fils prodige de la grande tradition du théâtre polonais, est  un iconoclaste, un metteur en scène créateur qui attire dans son univers dur, hanté par la culpabilité et l’Histoire, les œuvres qu’il choisit de monter. Et il les électrise, les gratte à l’os.  Pour mémoire : «(A)ppolonia », « Le Dibbouk » ou « L’Affaire Makropulos » de Leos Janacek à l’Opéra de Paris. En 2010, sur la scène de l’Odéon, il a dirigé Isabelle Huppert dans une version non moins personnelle de « Un Tramway nommé Désir » de Tennessee Williams. Ce spectacle est encore en tournée, (en Australie) car Warlikowski est un enfant chéri des festivals et des grandes scènes internationales.

Il a crée « Contes africains d’après Shakespeare » au Théâtre de la Place à Liège, à l’automne dernier. C’est là que nous l’avons vu. Le spectacle, une fresque, durait plus de quatre heures.  Nous en avons un souvenir marquant, non sans réserves. Mais on sait que Warlikowski sans cesse remet en chantier ses créations…

Galerie de photographies, signées Magda Hueckel :Contes africains3@Magda Hueckel1.jpg

Warlikowski s’empare de trois figures de parias mis au banc de la société : le vieillard, le Noir, le Juif, trois héros shakespeariens, soit  «Le Roi Lear», « Othello» et Shylock, le Juif qui veut sa livre de chair pour venger son honneur dans «Le Marchand de Venise».
 Wajdi Mouawad, au meilleur de lui-même, a écrit pour le spectacle de somptueux monologues de Desdémone, et Cordelia.  Et pourquoi l’Afrique ? Sans doute parce que l’ensemble est traversé d’extraits puisés dans « L’été de la vie » de l’écrivain sud-africain Coetzee, qui a déjà inspiré pour partie « (A)ppolonia». Les héros de Coetzee sont pris dans l’univers rude du post apartheid,  confrontés au retour de la loi tribale, à leur culpabilité de Blancs, à leur chute.  Contes africains4@Magda Hueckel.jpg

On retrouve l’art choc de Warlikowski, qui est grand:  collage, impact des images, toujours somptueuses, jamais innocentes ni vaines,  et d’une absolue modernité ; atmosphère sonore feutrée, lumières aux couleurs presque pop, agacement des nerfs, retournement des situations, improbables mais fertiles rencontres entre un boucher au tablier taché de sang découpant un morceau de viande et des hommes au masque de cochon, les épaules recouvertes du « talit » le châle de prière des Juifs. Les hommes ont pour les femmes des désirs infinis, désespérés. Ainsi vont ces «Contes africains» et ses histoires de famille damnées dans l’enfer glacé de leur destin. Le temps est à la haine et à l’amour, inextricablement mêlés. Et à l’exclusion. Si la pertinence du rapprochement entre Lear, Othello et Shylock nous échappe un peu, ce voyage dans l’imaginaire fertile de Warlikowski une fois de plus vaut le détour. C’est un écrivain de la scène, un penseur farouche d’un théâtre qu’il met hors de ses gonds. Il est le maître des visions sans pitié. Il appuie là où ça fait mal, avec une douceur aussi entêtante que la violence. Il a pour lui ses comédiens, tous fascinants, exceptionnels, on pèse ses mots. Contes africains1@Magda Hueckel.jpgContes africains5@Magda Hueckel.jpg

«Contes africains d’après Shakespeare», du 16 au 23 mars.  Théâtre National de Chaillot (O1 53 65 30 00). A lire : le numéro 110-111 de l’excellente revue Alternatives Théâtrales consacré à K. Warlikowski sous le titre «Fuir le théâtre ».
John Maxwell Coetzee, né en 1940 au Cap et Prix Nobel de Littérature en 2003 inspire décidemment  les metteurs en scène. Si  Warlikowski pioche dans « L’Eté de la vie»,  pour partie biographique, le flamand Luk Perceval signe « Disgrâce », un spectacle cette fois inspiré du rude et splendide roman éponyme de Coetzee.
Un professeur d’université tombé en disgrâce à la suite d’une histoire avec une étudiante retrouve sa fille Lucy, ex hippie ayant choisi de vivre dans une ferme isolée des collines du Cap est. Un retour à la terre, hanté par la malédiction sourde et la culpabilité. Les animaux, eux non plus, ne sont pas épargnés. Metteur en scène invité du Toneelgroep d’Amsterdam, Luk Perceval fut un temps associé à la Schaubühne de Berlin. A notre avis, "Disgrâce" vaut le voyage, et aussi l'exposition "Lowtech" où treize artistes confrontent innovation technologiques et outils du passé. Un peu dans l'esprti du " Hugo Cabret" de Spielberg. Un signe des temps?
 « Disgrâce»,  du Jeudi 15 au 17 mars à la MC de Créteil dans le cadre du festival Exit  (01 45 13 19 19)

La bombe Warlikowski : Théâtre et compagnies

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